Morceaux choisis à partir de la lettre de Mgr. Hilarion Troïtsky (1886-1929) à H. Gardiner.
Ci-après - photo de Mgr. Hilarion datée de mars 1923 :
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Je n’arrive pas à comprendre comment l’Occident et l’Orient pourraient faire partie de la même Église après 1054. Que peut bien alors signifier « la séparation des Églises » ou, pour être plus précis, la défection du Patriarcat de Rome ? Se pourrait-il que la séparation n’ait jamais eu lieu, bien que les deux parties concernées la considèrent comme un fait accompli ?
Le pape Léon IX, dans sa lettre au Patriarche de Constantinople Michel Cérulaire, lance cette menace catégorique : « Si quelque nation du monde devient arrogante et entre en conflit avec l’Église Romaine, elle ne peut plus s’appeler « Église » ni être considérée comme telle : elle n’est rien d'autre qu’une assemblée d'hérétiques, une union de schismatiques, une synagogue de satan ». La soif de puissance dont brûlait l’évêque de Rome avait porté ses fruits amers.
Hélas ! Le 16 juillet 1054, les légats déposèrent sur l’autel de l'Église de Sainte Sophie une bulle d'excommunication qui disait : « Par l’autorité de la Sainte et Indivisible Trinité, du siège apostolique dont nous sommes les légats, des pères des sept Conciles Œcuméniques et de l’Église Universelle, nous signons l’anathème prononcé par le très saint Pape contre Michel et ses disciples, à moins qu'ils ne se repentent : Qu'ils soient anathèmes avec les Simoniens, les Valésiens, les Ariens, les Donatistes, les Nicolaïtes, les Sévériens, les Pneumatomaques, les Manichéens, les Nazaréens et tous les autres hérétiques, livrés au diable et, à ses anges, à moins qu’ils ne se convertissent. Amen ! Amen ! Amen ! ».
Le même jour, les légats du pape lurent l’anathème devant l’Empereur et ses dignitaires et dirent : « Quiconque ne se conformera pas à la Foi du Siège Apostolique romain, qu’il soit anathème, ce n’est plus un chrétien, mais un hérétique et quelqu’un qu’il faut de nouveau convertir. Amen ! Amen ! Amen ! ».
Le 20 juillet, le Synode Patriarcal répondit à son tour par un juste anathème. D'après le texte de la sentence, il est clair qu’aux yeux des Grecs aussi l’Eglise du Christ, les vrais sacrements, et le baptême étaient perdus pour les Latins. Ainsi, quelle était la situation ? Des deux côtés on a échangé des anathèmes et chacun a cessé de considérer l’autre comme une Église, pensant être lui-même la seule Église.
Qui doutera qu'une rupture a eu lieu ? Il n’y a aucun doute à cela. En 1054, ce ne sont pas deux Églises séparées qui sont venues à l’existence puisqu’il ne peut y avoir deux Églises du Christ, mais l’une des Églises locales a cessé d’exister, ayant brisé toute relation avec l’Église Universelle. L’Église Universelle a gardé la plénitude de la Grâce et de l’Unité tout comme avant la séparation de l’Église de Rome.
Les événements de 1054 sont regrettables et tragiques, mais il ne faut pas craindre d'appeler les choses par leur nom. Une telle attitude peut entraîner des conséquences désastreuses pour la Foi et pour l’Église.
Je pense que toute discussion sur les problèmes de l’Unité ecclésiastique des chrétiens contemporains devrait commencer par être une interrogation sur la signification des déplorables événements de 1054. Qu'est-il arrivé ? Était-ce une séparation ou une division ?
S’il s’agissait d’une division, cela signifie qu'après mille ans de l’Église Une, deux Églises et non Une sont venues à l’existence.
Certes, vous penchez pour une autre réponse encore, à savoir qu’il n'y a eu ni séparation ni division en 1054 et que l’Église est restée Une, mais affaiblie quelque peu par le fait que la communion visible a cessé entre l’Orient et l’Occident.
Cette thèse est absolument inacceptable.
C’est bien une séparation qui a eu lieu en 1054 ; savoir lequel s’est séparé de l’autre est une autre question ; mais l’un s’est bien séparé de l’autre. L’Église est restée Une, soit en Orient seulement, soit en Occident seulement.
Il y a maintenant 863 années de cela et il n’y a pas d'unité entre nous. Les latins étaient reçus dans l’Église par le baptême comme les païens, ou par le mystère de la chrismation, comme le faisait l’Église ancienne pour les ariens, les macédoniens, les apollinaristes et autres hérétiques.
Notre œuvre missionnaire concerne aussi les Latins ; dans nos écoles théologiques, on étudie le Papisme.
Les latins ont employé la violence, l’imposture (les églises uniates), la propagande étatique pour convertir les Orthodoxes au Papisme.
Le Pape promet des indulgences à ceux qui prient pendant un certain nombre de jours pour la conversion des « schismatiques d'Orient ».
Les Latins ont convoqué des conciles qu'ils ont qualifiés d’« œcuméniques » ; au cours des siècles ils ont inventé de nouveaux dogmes inconnus de l’Église ancienne. L’Église Orthodoxe a condamné comme hérétiques les nouveaux dogmes de la Papauté.
Prenons un exemple assez récent. Le Pape Pie IX, dans sa lettre du 6 janvier 1848, adressée aux Orthodoxes, soutient toutes les erreurs du papisme et appelle les Orthodoxes à revenir à la véritable Église. Quatre mois plus tard, le 5 mai 1848, les quatre Patriarches orientaux et tous les évêques des Synodes de Constantinople, Antioche et Jérusalem publièrent une lettre de l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique à tous les chrétiens orthodoxes.
Les Patriarches y réfutent et condamnent la lettre du Pape et invitent les Églises séparées à revenir à l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Cette lettre condamne le Filioque avec vigueur : « l’Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, suivant les saints Pères de l’Orient et de l’Occident proclame, comme elle l’a fait par le passé, que le Filioque, c'est à dire la Procession du Saint Esprit du Père et du Fils est une innovation et une hérésie, et que ceux qui y croient quels qu’ils soient, sont des hérétiques. Les assemblées formées par ceux-ci sont des communautés hérétiques ; tout contact spirituel ou ecclésiastique avec elles constitue, pour le troupeau orthodoxe de l’Église Universelle, une grave transgression des canons ».
Peut-on alors concevoir qu’une relation de ce type entre les Églises locales au sein de l’Église Une et Universelle du Christ puisse exister ? Se peut-il inversement que ces relations aient été d’une banalité insignifiante et n’aient impliqué aucune rupture à l’intérieur des profondeurs mystiques du Corps du Christ ?
Prenons donc un exemple de point de rupture universellement connu : nous ne partageons pas le même pain dans l’Eucharistie. Cela ne suffit-il pas ? Qu’est-ce d’autre qu’une absence d'unité visible ? Le sacrement du Corps et du Sang du Christ est le centre de la vie mystique de l’Église ; c’est le centre mystérieux de l’unité ecclésiale, comme l’a enseigné l’Église ancienne, à commencer par l’Apôtre Paul et avec lui saint Ignace le Théophore, saint Cyprien de Carthage, saint Cyrille d’Alexandrie… Dans la Liturgie de saint Basile le Grand, le prêtre dit cette prière après l’offrande : « Unis nous les uns aux autres, nous tous qui partageons le même pain et buvons à la même coupe, en communion avec le Saint Esprit ».
Peut-il y avoir de séparation plus grande, intérieure, invisible, mystérieuse que d'être divisés dans le mystère de l’Eucharistie ? Il n'y a aucun doute, des relations de ce type entre Églises locales sont impensables. L’Église Universelle est formée de seize Églises autocéphales locales. Est-ce que nous convertissons les syriens orthodoxes, les serbes et les roumains ? Nous célébrons la divine liturgie avec une joie particulière quand un hiérarque ou un prêtre d’une autre Église locale vient célébrer avec nous.