DE LA CHUTE SPIRITUELLE DE ROME à LA CHUTE POLITIQUE DE DEUXIÈME ROME

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Dans l’article présent je veux évoquer l’histoire du christianisme entre 1054 et 1453.

La séparation entre le christianisme occidental (de langue latine) et le christianisme oriental (de langues grecque, syriaque, géorgienne et slave) fut en 1054. Hormis la question du Credo, il y a une autre raison majeure de mésentente : le patriarcat de Rome prétendait de dominer les autres quatre patriarcats (les revendications universalistes de la papauté) : de Constantinople, d’Antioche, de Jérusalem, d’Alexandrie. Le patriarcat de Rome devint centralisé à un point qui resta toujours étranger aux quatre patriarcats d’Orient. Le patriarcat de Rome (la papauté) devient une sorte de monarchie ecclésiale, alors qu’en Orient le patriarcat continue de gérer les affaires d’une manière collégiale.

Après 1054, bien que différentes recherches d’union soient entreprises, le point de non-retour est franchi au moment de la prise de Constantinople par les croisés en 1204. Aux divergences doctrinales entre Grecs et Latins, s’ajouta une animosité nationale qui contribua à rendre encore plus aléatoires les tentatives d’union.

Avec cette séparation, l’adjectif « catholique » commence à être employé dans le mauvais sens – dans les territoires juridiquement contrôlé par Rome. Suivant le Credo de Nicée-Constantinople (325 et 381), l’Eglise Orthodoxe se déclare « catholique » (du grec « katholikos » qui veut dire « universelle » et « rassemblée »). Entre 4ème et 11ème siècles il n’y a jamais eu d’antagonisme entre les notions « orthodoxe » et « catholique ». L’adjectif « orthodoxe » était employé par rapport à la confession de la foi (la doctrine chrétienne) et « catholique » était employé par rapport à l’Eglise. L’un ne va pas sans l’autre : on parle de la même chose, mais sous aspects différents.

Voici pourquoi utiliser l’adjectif « catholique » pour parler des hétérodoxes est un abus de langage.

La papauté hétérodoxe s’est arrogé à partir du XIème siècle une juridiction universelle du droit divin, peu importe l’exactitude de la foi. Rome croit que son pouvoir juridictionnel peut s’étendre sur le monde entier, après que les invasions barbares ont accentué sa position unificatrice en Europe Occidentale. On constate donc un changement dans la nature de la primauté du siège romain. L’Orthodoxie, reconnaissant une primauté d’honneur à Rome (à condition de tenir fermement la foi orthodoxe), comprise comme traditionnelle, n’accepte pas qu’elle se transforme en suprématie universelle.

Dans l’orthodoxie il existe plusieurs Eglises locales et indépendantes administrativement ; et dans le papisme le centre ecclésiastique suprême est la ville de Rome.

Nous avons déjà vu (ici) les cas de l’Eglise chypriote, de l’Eglise géorgienne et l’Eglise bulgare.

Voici le cas de l’Eglise serbe. Saint Sava (+1236) est l'architecte principale de l'autocéphalité de Église Orthodoxe Serbe. Saint Joannice II (+1354) est le premier Patriarche serbe.

Voici le cas de l’Eglise russe. Au XVème siècle l'Église en Russie marque de plus en plus son indépendance vis-à-vis du patriarcat de Constantinople. Ainsi Jonas fut nommé métropolite de Moscou et de toute la Russie en 1448 sans le consentement de Constantinople (qui traversait la crise après le concile Ferrare-Florence). Un siècle après, la Russie obtient de Constantinople l’indépendance totale sur le plan ecclésiastique : le patriarcat de Moscou fut créé en 1589.

Depuis 1054, les hétérodoxes à Rome ont introduit beaucoup de changements (nouveautés) dogmatiques. Le plus spectaculaire, à mon avis, est un concept d’infaillibilité pontificale. Proclamée par le concile de Vatican I en 1870, l’infaillibilité papale est une conception totalement inacceptable pour l’orthodoxie. Cette dernière souligne que le peuple de Dieu est le dépositaire de la vérité de l’Eglise, comme nous verrons plus tard, sur l’exemple de la réception par le peuple orthodoxe du concile Ferrare-Florence : entre 1439 et 1453.

La papauté hétérodoxe est toujours hostile à l’orthodoxie. Après la première Croisade (1096–1099), les 13 nouveaux diocèses dépendant de Pape de Rome sont installés dans le Proche Orient, sur le territoire canonique de patriarcats d’Antioche et de Jérusalem. Comment ces 13 nouveaux diocèses puissent se constituer si rapidement ? Par l’expropriation pure et simple.

Il dire que même le principe de la Croisade reste incompréhensible aux chrétiens orthodoxes. Car c’est à l’Empereur, non à un évêque, fût-il de Rome, de déclarer la guerre. Les croisés devraient naturellement obéir au chef de guerre qu’est l’Empereur, ce qu’ils refusent. Pendant ce temps, la papauté affirme la primauté pontificale et entend y soumettre toute la chrétienté.

Au printemps 1099 il y avait une guerre ouverte entre les Croisés et l’armée de l’Empire Romain d’Orient pour le contrôle des régions côtières et les îles de la Cilicie (région historique d'Anatolie méridionale et une ancienne province romaine) et la Syrie.

Lorsque sultan Imad ed-Din Zengi (surnommé Sanguinus « le Sanglant » par les chroniqueurs francs des Croisades) en décembre 1144 reprend aux Croisés la ville d’Édesse, – le pape de Rome Eugène III, en appelant à la deuxième Croisade, annonçait ouvertement : « si cette Croisade est inutile à d’autres égards, elle est tout de même utile pour installer la hiérarchie latine dans les Eglises Orientales ». La deuxième Croisade (1147–1149) apporta les résultats plus modestes.

Lorsque les Grecs en 1168 ont demandé de l’aide militaire au Pape de Rome Alexandre III, les légats romains arrivés à Constantinople ont mis une seule condition – soumission au pape.

Voici les résultats de la troisième Croisade : rien dans la Terre Sainte, mais occupation de Chypre avec sa population grecque et orthodoxe par le roi anglais Richard Cœur de Lion qui confie l’île aux Templiers. Les chevaliers de l’Ordre commencent à introduire le papisme romain avec par le feu et l’épée. Le Pape Célestin partage l’île en trois diocèses. La terre est divisée entre les nouveaux seigneurs féodaux et les Grecs sont réduits au servage.

Le vrai but de la quatrième Croisade est de détruire et soumettre le concurrent – l’Empire Romain d’Orient. Au lieu de guerroyer contre les musulmans, les croisés entrèrent à Constantinople le 12 avril 1204 pour détruire, tuer et voler. Beaucoup de reliques chrétiens ont été profanés.

Ce pillage barbare est décrit par un des historiens les plus remarquables de son époque, Nicétas Choniatès (Νικήτας Χωνιάτης), qui se trouva à ce moment à Constantinople : « les musulmans qui ont pris Jérusalem en 1187, étaient moins féroces ».

Même le pape Innocent III a remarqué : « les Latins n’ont épargné ni la foi, ni le sexe, ni l’âge ».

L'empereur et le patriarche orthodoxe (de langue grecque) furent chassés de Constantinople. Les Croisés leur substituèrent un empereur (Baudouin de Flandre) et un patriarche (Tommaso Morosini, originaire de Venise) dits Latins (par opposition aux Grecs). Le pape Innocent III entérina l'état de fait.

Voici la liste des patriarches latins de Constantinople (jusqu’à 1261) : Tommaso Morosini, Gervais de Constantinople, Matthieu de Constantinople, Jean Halgrin, Simon de Constantinople, Niccolò da Castro Arquato, Pantaleon Giustiani.

Le titre de Patriarche latin de Constantinople fut créé par l'Église catholique romaine en 1204 lors des Croisades et fut supprimé en 1964. En 1964, le Vatican décida de la suppression de ce titre, de toute façon sans titulaire depuis 1948.

L’historien français Claude Fleury témoigne de l'attitude politique et spirituelle de l’Empire Latin de Constantinople de l'époque : « les schismatiques têtus (i.e. les Grecs) qui se sont révolté contre l’Eglise, méritent la punition. Si la peur de nos armes les forcera de retourner dans le bercail, c’est excellent ; sinon, il faut les exterminer et peupler leur contrée par des catholiques romains. ».

Empereur latin de Constantinople Baudouin Ier demanda au Pape de Rome de renforcer le clergé, et les prêtres papistes viennent non seulement de l’Occident, mais aussi de Syrie, de Cilicie et de Palestine où les Croisés perdent ses possessions. Déjà 32 diocèses hellénophones sont occupés par des Latins. Le Pape de Rome jubile : « Église Byzantine, qui jusqu’alors n’avait pas ni le nom, ni la place parmi les trônes apostoliques, maintenant est en train de revenir à sa place ».

Les répressions contre l’Orthodoxie prennent d’avantage d’ampleur. En 1213, le légat Pélage ferme toutes les églises et les monastères de Constantinople, les moines et les prêtres sont mis en prison.

En 1215, à Rome, dans sa résidence sur le mont Latran, le Pape Innocent III ressemble un concile (souvent nommé Latran IV) pour déclarer la domination du papisme sur l’Orthodoxie. Dans l’Empire Latin de Constantinople le régime se durci et dans les diocèses orthodoxes restants sont mis en place les vicaires pour rapporter aux évêques papistes sur la vie des paroisses. L’inquisition, confiée aux dominicains, s’active de plus en plus.

Cependant, la position des croisés à Constantinople se détériorait de plus en plus. Les querelles mutuelles constantes lors du partage des terres de l'Empire, la pression croissante des Slaves du nord, la confrontation avec population locale, le lobbying des intérêts financiers et commerciaux des sociétés marchandes de Venise, de Gênes, de Pise et d'autres villes italiennes ont finalement détruit l'économie déjà faible de l'empire latin.

L'empereur Baudouin II demanda de l'argent aux maisons royales d'Europe, en acceptant toutes les conditions.

La relique chrétienne – la couronne d'épines du Sauveur – intéressa les usuriers de Venise. A cause d'argent, Baudouin finit par donner son propre fils comme gage aux Vénitiens.

En joignant les efforts, les Grecs réussissent à récupérer Constantinople. L'empire latin est tombé. Le 15 août 1261, l'empereur Michael VIII Paléologue entra dans la capitale libérée des hétérodoxes.

Le patriarche latin Pantaleon Giustiani se cache en Europe Occidentale et Baudouin II, évincé, s’est tourné vers des cours des rois européens, à la recherche de défenseurs et d'alliés. Le patriarcat devint « in partibus », c'est-à-dire titulaire, après la reconquête en 1261 de Constantinople par les orthodoxes.

Le pape Urbain IV, en juin 1262, s'adresse au roi français Louis IX : « Cette nouvelle nous a frappés comme une épée, et nous, comme frappé par un coup de tonnerre, nous avons perdu la raison, et le visage de l'Église était couvert de honte en regardant le fils le plus cher (Baudouin) qui est arrivé ici ... L'épée des schismatiques s'est levée contre les fidèles et un puissant orage a éclaté pour anéantir le catholicisme ».

Après la reprise de Constantinople par les Byzantins en 1261, le patriarche latin se réfugia dans les territoires encore tenus par les Latins. En février 1314, le pape Clément V unit le siège patriarcal à l'évêché de Négrepont, en Eubée, qui devint ainsi le diocèse patriarcal.

Les propriétaires du palais du Latran à Rome ont tourné les regards vers le nord, vers la Russie de Novgorod. Mais, la première campagne s’est soldée par une défaite : le croisé suédois Jarl Birger a été battu par le prince Alexandre Yaroslavovitch sur les rives de la Nieva à Ijora le 15 juillet 1240.

Même restauré en 1261, l’Empire des Paléologues reste faible. Lorsque la ville de Thessalonique, au sud de Constantinople, fut envahie par les Croisés (qui étaient appelé « les Francs » par la population grecque de l’époque) les dépendances des monastères du Mont Athos fut expropriés et devenues des résidences de la noblesse participant à la Croisade. Même le Mont Athos fut considéré comme la propriété des Croisés et régi par l’évêque papiste, installé à Frankokastro Ouranoupoli, à la frontière avec Mont Athos.

A cette époque, les moines athonites (du Mont Athos) ont montré plusieurs martyrs pour la pureté de la Foi, qui n’ont pas cédé aux intimidations des hétérodoxes et par leurs sangs ont témoigné leur fidélité au Christ.

En 1274 fut signé l’Union de Lyon qui reconnaissait la primauté papale et l’ajout du Filioque au Crédo. Les moines athonites ont composé une épitre dogmatique dans laquelle ils rejetaient toute possibilité d’union ecclésiastique avec des Latins, sauf si les Latins embrassent la Foi Orthodoxe. Le peuple a suivi les moines, malgré la pression de l’Empereur de Constantinople.

A partir du treizième siècle, les empereurs successifs de Constantinople seront prêts à payer le secours militaire occidentale contre les musulmans, en poussant la hiérarchie de l’Eglise Orthodoxe à se soumettre à l’autorité papale romaine. Mais l’Eglise Orthodoxe, dans sa globalité, refuse de se plier à la volonté impériale. La conscience d’une orthodoxie indépendante l’emporte sur le réflexe de survie dans une partie de la hiérarchie, chez la totalité des moines et dans la masse de la population en dehors de quelques aristocrates. L’orthodoxie s’est détachée de l’Empire : la conscience de lui appartenir l’emporte sur celle d’appartenir à l’Empire. D’autant que l’influence de la spiritualité monastique est devenue dominante : or les moines, c’est tout à la fois une farouche volonté d’indépendance de tout pouvoir terrestre et une conscience de supériorité des priorités spirituelles vis-à-vis de priorités séculières.

En 1308, une nouvelle tentation arrive : les mercenaires catalans, initialement engagé pour combattre les Turcs, ont tourné leurs armes contre les Grecs. Sur le Mont Athos les catalans ont tué des moines et ont détruit des monastères. Le nombre des monastères est passé de 300 à 25 !

L’empereur Jean VIII Paléologue (1425-1448) préparait un grand concile d’union ecclésiastique avec Rome, dans l’espoir d’obtenir le soutien du pape et des princes européens. La délégation grecque, composée de l’Empereur, du Patriarche Joseph II (1416-1439), de vingt-cinq évêques et d’une suite d’environ sept cents personnes, s’embarqua pour l’Italie dans un grand élan d’enthousiasme. Les Grecs étaient convaincus de réaliser rapidement l’Union.

Concile s’est tenu à Ferrare et Florence en 1438-1439 et tenta vainement de réaliser l'union ecclésiastique des Latins et des Grecs.

Pour les Latins, il s’agit de faire revenir les Grecs dans l’Eglise de Pierre. Le pape, vicaire du Christ, est le seul chef de l’Eglise une ; depuis la réforme grégorienne, il possède à la fois l’auctoritas et la potestas sur toute l'Eglise. Jusqu’à Vatican II, la position romaine sur l’union des Eglises sera parfaitement résumée en cette formule latine : reductio Graecorum (reconduction des Grecs à l’église romaine papale).

Pour les Grecs, l’union consiste dans la réconciliation entre l'Eglise romaine et les autres patriarcats, selon la conception ecclésiologique de la Pentarchie, c’est‐à‐dire la communion des cinq patriarches, autour du premier d'entre eux, celui de Rome. L’union des Eglises doit se faire sur le modèle du premier millénaire, quand le pape jouissait de la primauté, mais non d’un pouvoir d'intervention dans les autres patriarcats.

Lors de ce concile les divergences les plus cruciales furent abordées, et des discussions théologiques eurent lieu.

Les sujets mis à l’ordre du jour étaient les suivants :

-         le dogme trinitaire et la question de l’addition de la formule « et du Fils (Filioque) » au Crédo de Nicée-Constantinople (Symbole de la Foi Orthodoxe) ;

-         l’existence du Purgatoire ;

-         l’usage du pain non fermenté (azyme) pour la Liturgie chez les Latins ;

-         la question de la Consécration des Saints Dons par les seules paroles de l’Institution (d’après les Latins) ou par l’invocation du Saint-Esprit (épiclèse) ;

-         la primauté du pape.

Le concile se déroule en deux phases.

De février 1438 à janvier 1439, le concile se passe à Ferrare.

Dès le premier jour, le concile est mal engagé : le pape Eugène et ses théologiens montrèrent les dispositions hostiles et arrogantes. Lors de l’arrivée des Grecs à Venise, en février 1438, le Patriarche de Constantinople refuse de baiser la pantoufle du pape, arguant que les apôtres ne baisaient pas le pied de saint Pierre : déjà deux ecclésiologies s’affrontent. De dépit, le pape renonce à la réception solennelle de la délégation grecque et se contente de recevoir en privé, par petits groupes, les évêques grecs.

La disposition des sièges au concile pose un autre problème : le pape tient à se tenir au milieu, entre la délégation latine et la délégation grecque ; les Grecs refusent, car ce serait entériner la vision latine de l’Eglise, le pape siégeant au-dessus des deux parties de la chrétienté. Le pape accepte alors de se tenir du côté latin, mais sur un siège surélevé en vis‐à‐vis non du patriarche mais de l’empereur byzantin Jean VIII. L’alter ego du pape n’est donc pas le patriarche mais l'empereur, nouveau signe de la conception monarchique de la papauté. Autre inconvénient de cette disposition : l’Union apparaîtra du côté grec comme une soumission du spirituel au temporel, l'empereur passant auprès de ses sujets pour avoir imposé à la délégation grecque l'acceptation de l’Union.

Une fois réglés de délicats problèmes de préséance, les discussions s’engagent. Les Latins se trouvaient en majorité écrasante. Le premier thème abordé concerne le purgatoire ; doctrine du purgatoire est apparue en Occident au XIIème siècle.

Puis l’on passe à l’ajout de Filioque au symbole de Nicée‐Constantinople. Selon les Grecs, puisque le Concile Œcuménique d’Ephèse avait interdit de modifier le symbole, il n’y a pas à discuter sur le fond : les Latins sont dans leur tort du simple fait d’avoir procédé à un ajout unilatéral.

Dès le début, apparaît une dissymétrie entre Latins et Grecs. Ces derniers sont dans une position beaucoup plus inconfortable que leurs vis‐à‐vis, et ce n’est pas dû uniquement aux nouvelles alarmantes qui leur viennent de Constantinople.

A des questions de protocole s’ajoutent pour les Grecs de graves problèmes financiers. Les délégués constantinopolitains fut traités comme de véritables prisonniers, ils étaient empêchés de sortir de la ville et la distribution des subventions promises pour leur entretien était en retard de manière excessive (avec plusieurs mois de retard), si bien que certains évêques furent réduits à vendre leurs effets personnels pour se nourrir, en étant dans des situations très difficiles d’endettement permanent.

Plus grave de conséquences, une forte somme correspondant à un arriéré de plusieurs mois sera versée aux évêques grecs une fois qu’ils ont signé l’acte de l’Union, c’est-à-dire à la veille de leur départ. Les signataires de l’Union arriveront à Constantinople avec de l’argent plein les poches, ce qui alimentera les soupçons de corruption.

Enfin, les Grecs ont toutes les peines du monde à obtenir des églises pour célébrer selon leur rite, et l’Union sera célébrée uniquement en latin : signes du mépris dans lequel les Latins tiennent le rite de Constantinople.

Le concile met donc en présence, d’un côté, des évêques angoissés venant d'un empire à l'agonie et qui sont loin de chez eux, avec des problèmes matériels quasi‐insurmontables, et à leur tête, un empereur qui tient à l'union pour obtenir l'alliance de l'Occident contre les Turcs ; de l’autre, des évêques majoritairement italiens, à l’aise chez eux, tous partisans inconditionnels du pape (ceux qui auraient pu être plus critiques vis‐à‐vis de la papauté sont restés à Bâle).

Du 10 janvier 1439 au 21 juillet 1439, le concile se passe à Florence.

La raison officielle de ce transfert est que la peste sévit à Ferrare. Mais la raison véritable est que, les discussions s’éternisant (les Grecs sont en Occident depuis près d’un an), le pape ne peut plus financer leur séjour ; or, la banque des Médicis offre de financer le concile s’il lui fait l’honneur de se tenir à Florence.

Les discussions reprennent sur le Filioque ; les grands discours de Ferrare sont remplacés par des échanges plus directs. A cette occasion, les Latins changent aussi de tactique : puisque les Grecs ne reconnaissent pas l'autorité des raisonnements syllogistiques, ils auront recours aux citations des Saint Pères tirées hors de leur contexte ou faussement interprétées, voire même falsifiées.

Pendant ce temps, les Métropolites de Nicée, Bessarion, et de Kiev, Isidore, devenus partisans acharnés de l’union, soit par ambition personnelle (ils devaient en effet devenir par la suite tous deux cardinaux du pape), soit par la vieille hostilité du courant humaniste contre l’hésychasme et le monachisme, représentés par Marc, Métropolite d’Éphèse, s’ingéniaient dans les coulisses à convaincre les autres prélats que les Latins ne se sont pas séparés de la vérité et que leur doctrine du Saint-Esprit n’est pas hérétique, mais qu’ils ont seulement développé l’enseignement traditionnel dans leur propre langage. Accablés par un long désœuvrement, par le manque de subsides et par la morgue des Latins, inquiets du sort de la capitale menacée et se sentant pris au piège, les Evêques se laissèrent peu à peu gagner à la cause d’une union de compromis, pour laquelle l’Empereur et le Patriarche ne cessaient de faire pression. Le débat dogmatique aboutissant, comme toutes les autres discussions, à une impasse, on voulait en finir, quitte à se rétracter une fois rentré en terre byzantine.

Malgré les pressions et les injures de ses adversaires, saint Marc restait inflexible : « Il n’est pas permis de faire des accommodements en matière de foi » déclarait-il. Il avait réalisé qu’il était inutile de vouloir s’opposer par la parole aux sophismes des Latins, et comme la dissension allait croissant parmi les Grecs, il décida de se retirer de la lutte et de montrer sa réprobation en souffrant en silence.

Les Latins prirent alors de l’assurance, ils refusaient eux aussi le compromis et exigeaient désormais la reconnaissance par les Grecs du Filioque et l’adoption de certains de leurs usages liturgiques. Les dernières résistances de la conscience des Grecs ayant été vaincues sur l’ordre de l’Empereur, tous signèrent finalement le décret de la fausse Union.

Dans le camp grec Bessarion et Isidore acceptent les arguments des Latins y compris « le Filioque ». Finalement, les Latins rédigent un texte qu'ils font approuver par l'empereur, le patriarche et la majorité des Grecs : selon ce texte, les saints étant nécessairement d'accord (inspirés par le Saint Esprit), comme les latins disent que l’Esprit procède du Père et du Fils et que les Pères grecs disent qu’il procède du Père par le Fils (ἐκ Πατρὸς διὰ Υἱοῦ), les particules ἐκ (de) et διὰ (par) sont forcément synonymes, si bien que « le Filioque » est légitime.

Par contre, saint Marc évêque d’Ephese garde la confession de foi orthodoxe et refuse d’accepter la modification de Crédo de Nicée-Constantinople.

D’Union, on ne pouvait en effet pas parler en vérité, puisque lors de la liturgie solennelle, célébrée devant le pape et tout le concile, le 6 juillet 1439, on lut certes le décret dans les deux langues, mais aucun Grec ne communia et les deux délégations, situées de part et d’autre de l’autel, n’échangèrent même pas le baiser de paix.

Saint Marc avait été le seul à refuser de signer. Lorsque le pape Eugène l’apprit, il s’exclama : « L’Evêque d’Ephèse n’a pas signé, alors nous n’avons rien fait ! ». Il convoqua le Saint et voulut le faire condamner comme hérétique ; mais, grâce à la protection de l’Empereur, celui-ci put rentrer à Constantinople avec le reste de la délégation.

Le Patriarche de Constantinople, Joseph II, meurt avant d’avoir signé l’union.

Les discussions n’en continuent pas moins. Les questions des azymes et de l’épiclèse sont assez rapidement traitées.

Mais la discussion achoppe sur la primauté du pape. Pour les Latins, depuis la réforme grégorienne du XIème siècle, le pape exerce un pouvoir direct sur l’ensemble de l’Eglise ; pour les Grecs, il n’est que le premier des patriarches et chaque Eglise garde son autonomie. Finalement, on se met d'accord sur un texte qui ménage de façon équivoque la primauté du pape et les privilèges des patriarches.

Le décret d’union « Laetantur coeli » est lu en latin par le cardinal Cesarini et en grec par Bessarion, devenu le porte‐parole des « unionistes » grecs. L’union est signée le 5 juillet 1439. Seulement Marc évêque d’Ephèse et Isaïe, évêque de Stavropolis (qui a quitté Florence en secret), ne signent pas le décret d’union.

Les Grecs se voient refuser une cérémonie de rite grec pendant la proclamation de l’union. L’union est solennellement proclamée le 6 juillet à Santa Maria di Fiore, au cours d’une cérémonie de rite latin.

Le pape suggère maladroitement de remplacer le patriarche Joseph défunt par Contarini, patriarche latin de Constantinople.

Le départ des Grecs pressés de regagner leur patrie menacée a des airs de débandade. En quittant Florence en juillet 1439, les Grecs ne peuvent embarquer à Venise que le 19 octobre et arrivent à Constantinople le 1er février 1440.

Entre temps, le pape a donné le chapeau de cardinal à Bessarion de Nicée et Isidore de Kiev. Bessarion, en débarquant à Constantinople, passera auprès de ses compatriotes pour un traître qui a vendu sa foi contre un titre. Isidore est arrêté en Russie ; il n’est plus reconnu par les russes comme Métropolite de Kiev.

Tout cela donne au peuple l’impression d’une union bâclée, conclue sous la menace, où l'orthodoxie a été sacrifiée à la raison d'Etat. Les signataires de l’union désavouent leur signature l’un après l’autre.

L’empereur Jean VIII apprend, en arrivant à Constantinople, que sa femme est morte en son absence. L’empereur se pose des questions si cette mort est une punition de Dieu pour la trahison de la foi orthodoxe lors du concile de Ferrare-Florence, et il néglige de faire ratifier l'Union.

A Constantinople, après dix-sept mois d’absence, les artisans de la fausse Union furent reçus par le mépris et la réprobation générale du Clergé et de la population. L’assemblée des Croyants, le Peuple Saint, le Sacerdoce Royal (I Pierre 2:9), qui est aussi un porteur de la plénitude de la vérité et reste le critère ultime de la validité des Conciles, le peuple rejetait unanimement le pseudo-concile de Florence et désertait les églises de quiconque était en communion avec les unionistes, alors qu’il saluait Saint Marc comme un nouveau Moïse, comme un Confesseur de la Foi et comme la colonne de l’Eglise. Sortant de son silence, le Saint partit alors en campagne contre l’Union, ou plutôt pour rétablir l’unité de l’Eglise Orthodoxe, par sa prédication et ses écrits, et aussi par ses larmes et ses prières. Il disait : « Je suis convaincu qu’autant je m’éloigne d’eux (les unionistes), autant je m’approche de Dieu et de tous les Saints, et autant je me sépare d’eux d’autant plus je m’unis à la Vérité ».

Dès le retour de la délégation grecque à Constantinople, l’écart entre le petit groupe d'évêques qui ont participé au concile et la masse des orthodoxes devient manifeste. L’union apparaît comme un marchandage qui brade les vérités de foi pour des raisons politiques. Peu à peu, la résistance s’organise. Le fameux proverbe « Mieux vaut voir au milieu de Constantinople le turban turc que la tiare latine » qui est basé sur les écrits de l’historien Doukas exprime une réalité : les chrétiens de Constantinople en deuxième moitié du quinzième siècle peuvent rester fidèles à leur foi ; la soumission au pape entraine la trahison de la foi (acceptation du « Filioque », qui constitue une hérésie trinitaire) et la perte de l'identité grecque et orthodoxe.

L’élection en 1440 d’un Patriarche uniate, Métrophane, oblige saint Marc de s’enfuir de Constantinople pour échapper à la concélébration forcée avec Métrophane.

Saint Marc se rendit dans son diocèse, Ephèse. Mais il se heurta là aux unionistes et repartit, espérant trouver refuge au Mont Athos. Il fut arrêté en route et placé, par ordre de l’empereur, en résidence forcée dans l’île de Lemnos.

Libéré en 1442, il retourna dans son monastère, d’où il continua la lutte jusqu’à son dernier souffle (23 juin 1444). Sur son lit de mort, le Confesseur confia le flambeau de l’Orthodoxie à son ancien élève, Georges Scholarios, qui s’était laissé gagner un moment à la cause de la fausse Union mais se repentit. Celui-ci devint un ardent défenseur de la foi orthodoxe. Dans la deuxième épitre à Georges Scholarios, saint Marc enseigne : « jamais les choses qui se rapportent à l’Eglise, ne se corrigent par des compromis : il n’y a rien au milieu entre la Vérité et le mensonge ».

Quelle était la réception du concile de Ferrare-Florence par l’ensemble des nations orthodoxes ?

Il faut se rappeler qu’aucun Concile Œcuménique n’a été convoqué par le Patriarche de Constantinople ; bien au contraire, certains Conciles Œcuméniques ont déposé et anathématisé quelques Patriarches constantinopolitaines.

En 1443 à Jérusalem, il y a eu lieu un concile de trois Patriarches Orthodoxes (d’Alexandrie, de Jérusalem, d’Antioche) qui a déposé l’hérétique Métrophane, le Patriarche uniate constantinopolitain.

A cette époque, le premier dans l’ordre honorifique de l’Eglise Orthodoxe est devenu le Patriarche d’Alexandrie.

En 1451, le Patriarche uniate Grégoire Mammas, en butte à l’hostilité d’une partie de ses fidèles, doit s'enfuir à Rome : il n'y a plus de patriarche à Constantinople. L’Union sera cependant proclamée à Sainte Sophie par le cardinal Isidore de Kiev. Nous sommes le 12 décembre 1452.

Cinq mois plus tard Mehmet II conquiert Constantinople. L’Empire Romain d’Orient a vécu. Lors de la prise de Constantinople, le 29 mai 1453, la fausse union des Eglises se consuma sous les cendres et les décombres de la cité terrestre laissant la Foi Orthodoxe vivante et inaltérée pour le salut du Peuple Chrétien.

En 1454, Georges Scholarios est élu comme patriarche de Constantinople, avec le prénom Guennadi (Ghennadios) ; il dénonce l'Union de Ferrare-Florence.

Dans l’Eglise Orthodoxe, la mémoire du Saint Père Marc, Métropolite d’Éphèse et Confesseur de la Foi Orthodoxe est fêtée le 19 janvier (ce que correspond au 1er février du calendrier civil).